Le noze plant.

Chers amis poudreux, comme chaque année, je tiens à vous informer des dangers qui nous guettent sur nos pentes immaculées. Je ne vous parlerai pas de ces fourbes sapins, de ces épicéas sanguinaires et autres mélèzes vicieux qui traversent les pistes et les hors-pistes en loucedé. Pas un mot non plus, des avalanches meurtrières qui emportent les riders les plus téméraires. Rien également sur les chutes de pierres qui cabossent les têtes les plus solides. Quand aux filets interdisant l'accès à tel ou tel secteur, rets mortels pour les jambes des riders imprudents, nous les traiterons dans le numéro hors-série du mois d'août 2013.

Quel est donc ce mal qui me préoccupe et me remplit d'effroi, cette oeuvre de Satan qui effrayait Jamie Pierre lui-même, du temps de sa splendeur ?
C'est le NOZE PLANT (écrit en gros, ça fout vraiment les jetons).
A cet effet, vous trouverez ci-dessous le compte-rendu intégral de la conférence tenue récemment par le Docteur Macheprot à l'Académie de Médecine de Stockholm. Ce compte-rendu est publié conjointement avec la Revue Médicale Vaudoise, car il est nécessaire de prévenir le plus grand nombre et d'appliquer le principe de précaution.

Qu'est-ce que le noze plant, comment le reconnaître ?
Rien de plus simple, il est impossible de le confondre avec une faute de quart ou un intérieur mal maîtrisé. Le roulé-boulé des snowboarders se vautrant dans la poudre à la moindre occasion, le déchaussage dû à une réception aléatoire suite à un jump un peu gourmand, la faiblesse du genou d'un quinquagénaire bedonnant, tout cela n'est que petite gamelle sans prétention ni danger. Ou alors c'est la faute à pas de chance.

Le noze plant ne survient que dans la poudreuse. Pas de poudreuse, pas de noze plant. Le noze plant se plait dans toutes les pentes. Couloirs ou faux-plats, tout ce qui est poudreux lui convient. Le cadre étant posé, voyons les symptômes.

Le premier visible est ce ski, solitaire et abandonné, bien à plat dans la neige, la spatule ou le rocker apparent. Si la spatule ou le rocker ne sont pas totalement apparents, nous sommes en présence d'une bête faute technique qui ressemble au noze plant, mais qui n'est qu'une pale imitation de celui-ci. En général, il s'agit du ski aval, mais on a vu des exceptions.
Allez savoir pourquoi, mais subitement ce ski décide de s'arréter là, de ne pas faire un pas de plus. Ras la semelle, qu'il en a le ski. Il en a marre de la poudreuse. Ecoeuré qu'il est. Peut-être un excès de fart.
Certains ont évoqué des différences de texture dans la couche de neige, certaines ont invoqué la présence de cailloux traitreusement enfouis. Tous ces arguments ne sont pas sérieux et ne sont que de mauvaises excuses et des fausses pistes à ne pas suivre (normal, c'est du hors-piste).

Le deuxième symptôme, c'est la chute du monoskieur contre son gré. La chute est belle, ample, somptueuse, généreuse, majestueuse. Ce n'est pas de la gamelle de bêtisier de Noël. On n'est pas dans le triple axel. Parfois, quelques esthètes l'accompagnent d'un envol de quelques mètres. Mais ce sont là fioritures inutiles qui ne font rien à l'affaire.

L'atterrissage consécutif de la chute est le troisième et dernier symptôme. Là aussi on fait dans le sublime. Enfoncé jusqu'aux épaules le rider. Ou alors il a un grand cou. Quand il sort la tête de la neige, il est méconnaissable avec ses sourcils blancs, le masque rendu sur le sommet du crâne ou 5 mètres plus loin. Les riders à lunettes n'ont pas plus de chance. La belle paire de Vuarnet, dernier cadeau de Noël offert par Madame, s'est transformé en binocle, ses branches ayant décidé de reprendre leur indépendance.

En ce début de saison agréablement poudreux, nombreuses sont les victimes de ce mal insidieux, de cette affection sournoise qui frappe même les plus endurcis des riders. Comparé au noze plant, la peste et le choléra réunis sont aussi bénins qu'une poussée d'acné sur le frais minois d'une freestyleuse post-pubère. La grippe hachain-nénin, la grippe aviaire, celle du poulet et la redoutable grippe du goret ne sont rien de plus que petites rhinites passagères.

La première victime connue est le gros couillon, fauché par un noze plant entre une verte et un téléski dans les prairies des 2 alpes lors du week-end d'ouverture. Pas l'air con, le TC sur ce coup. Même pas pris une petite photo. Bien discret, qu'il est resté.
Deuxième victime répertoriée, Madame V., rideuse des Ménuires, aurait subi l'attaque d'un noze plant du coté de la Becca. Soi-disant qu'un rocher aurait mordu la semelle de son ski. On croit réver. La mauvaise foi féminine est vraiment sans limite.
Enfin de source sûre, l'assistant du staff(*) lui-même a été frappé à la sortie du TS du Diable. Grace à sa robuste constitution, son hygiène de vie irréprochable et un niveau de ski largement au-dessus de la moyenne, il s'en est tiré avec 5 mètres de ski unijambiste, mais ce fut juste.
Il se murmure sur la Toile, mais ça reste à vérifier, que le staff en personne aurait eu maille à partir avec un noze plant.

Heureusement, nous avons pu cibler la population à risque, de manière à concentrer nos efforts là où ils seront le plus utile. Dans un premier temps nous avons éliminé des sujets à traiter, les snowboarders et autres rampants, ainsi que les monoskieurs. Les adeptes de la patinette, les fans du ski-cross, les champions de la FIS ne sont pas considérés comme sujets à risque. A ce jour, nous n'avons pu observer aucun cas de noze plant dans ces populations.
Les pères tranquilles de la raquette, à ne pas confondre avec les rois de la jaquette, peuvent randonner en paix, risque zéro pour eux.

Malheureusement pour les populations à risque, nous n'avons actuellement aucun traitement sérieux, aucun vaccin efficace. Seul l'appui de moineau met à l'abri du noze plant. Mais sa présence est si rare, sa pratique si délicate, qu'on ne peut l'envisager comme mesure prophylactique généralisée.
En conséquence, nous demandons aux autorités sanitaires d'interdire immédiatement la pratique du ski hors-piste.

Voilà donc l'exposé de ce sympathique docteur et les conclusions impitoyables qui en ressortent.

  • Pour ma part, je ne peux que m'y associer :
  • Face au sida, faut pas baiser.
  • Face à la cirrhose, faut pas picoler.
  • Face au cancer, faut pas fumer.
  • Face au noze plant, faut pas rider.

Cependant, à la demande expresse du bon docteur et pour l'aider dans ses recherches, je dois continuer à tracer les pentes poudreuses tout l'hiver. Si c'est pour rendre service à la science et soutenir la recherche, il est impossible de refuser.
Je vous laisse apprécier et admirer toute mon abnégation.

(*) l'assistant du staff